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Libéralisation de la cession d’entreprise ou simple raccourci procédural ?

Libéralisation de la cession d’entreprise ou simple raccourci procédural ?

Publié le : 24/03/2021 24 mars mars 03 2021

Point sur l’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020

L ’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux d ifficultés des entreprises aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 prévoyait, à son a rticle 7, la faculté pour les dirigeants d’entreprises placées en plan de cession, de d éroger à l’interdiction énoncée par l’alinéa 1er de l’article L.642-3 du code de commerce e t, ainsi, de demander directement au tribunal la reprise de leur entreprise. La faculté de rep rise par le dirigeant était cependant déjà possible au sens de l’alinéa 2 du même article. L ’article 7 de l’ordonnance, n’institue dès lors qu’un simple raccourci de procédure. 

Le 20 mai 2020, a été adoptée l’ordonnance n°2020-596 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l’épidémie de Covid-19. Cette ordonnance, dans la lignée de l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020, a pour objectif de permettre aux entreprises, subissant de plein fouet les restrictions mises en place pour endiguer la pandémie, la survie de leur activité. Aménagées dans le temps, les mesures prises par ces ordonnances ne sont en principe que temporaires. Alors que certaines mesures de ces ordonnances ont été prolongées par la loi ASAP n°2020-1525 du 7 décembre 2020, l’absence de prolongation de l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 s’est fait remarquer.  

L’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 permettait au dirigeant ou à l’administrateur judiciaire de soumettre directement une requête au tribunal afin de permettre le dépôt d’une offre de reprise par le dirigeant lui-même de sa société soumise à un plan de cession. Cette faculté déroge aux interdictions prévues par le premier alinéa de l’article L642-3 du code de commerce. En effet, en vertu de cet article seul le Ministère public est habilité à saisir par requête le tribunal de commerce afin d’autoriser la cession au personnes frappées de cette interdiction. Cette interdiction puise premièrement son essence dans la présomption de mauvaise gestion de l’entreprise placée en liquidation judiciaire. L’entreprise ne saurait être reprise par celui qui l’a mené à sa défaillance. Enfin l’interdiction évite un « effet d’aubaine » au mépris des droits des créanciers au regard des conséquences du plan de cession sur les dettes de l’entreprise. Cette procédure opère en effet un apurement du passif de l’entreprise, permettant à l’acquéreur de ne pas reprendre les dettes. C’est alors le prix de cession qui redonne une solvabilité à l’entreprise et permet le recouvrement des dettes. C’est pourquoi le débiteur et l’acquéreur ne sauraient se confondre en une seule et même personne sans précautions tenant au recouvrement des dettes contractées par l’entreprise antérieurement à sa cession.  

Le contexte actuel remet cependant en cause la responsabilité du dirigeant dans la défaillance de son entreprise et c’est dans un objectif de survie de celle-ci et de maintien des emplois, que l’article 7 a été adopté au sein de l’ordonnance.  
Cette disposition montrait son intérêt, notamment lorsque l’intuitu personae du dirigeant de l’entreprise en difficulté est importante influant sur les emplois et la vie économique de l’entreprise. Le dirigeant d’une entreprise mise en difficulté par un contexte extérieur et indépendant de sa gestion, semble dès lors la personne la plus apte à assurer la pérennité de l’activité.  

L’article 7, dérogeant aux dispositions de l’alinéa 1 de l’article L642-3 du code de commerce, a fait l’objet de vives critiques tant en doctrine qu’en jurisprudence, s’analysant comme une libéralisation de la cession d’entreprise, au mépris des créanciers. Une demande de QPC a été posée à son sujet au regard du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques (CA Montpellier, 15 sept. 2020, n° 20/03672). Il a ainsi été rappelé que l’article 7 ne fait que conférer au débiteur la faculté de déposer une requête visant à déroger à l’interdiction de l’alinéa 1 l’article L.642-3. Cependant l’alinéa 2 de l’article L.642-3 autorisait déjà la faculté de reprise aux personnes visées par l’interdiction, sur requête du Ministère Public après avis des contrôleurs. Dès lors l’innovation de l’article 7 de l’ordonnance résidait uniquement dans la supression de l’examen préalable de la demande de dérogation par le ministère public. Ainsi l’article 7 n’opérait qu’un raccourci procédural au regard de la faculté de demande de reprise par le débiteur qui est établie au sein de l’alinéa 2 de l’article L.642-3.

Les risques de ce « raccourci » sont d’autant plus mitigés que le Rapport au Président de la République mentionne la présence du Ministère public lors de l’audience statuant sur la demande : « Le tribunal et le ministère public veilleront à ce que le plan de cession ne soit pas seulement l’occasion, pour le débiteur, d’effacer ses dettes et de réduire ses effectifs en présentant lui-même, ou par personne interposée, une offre de reprise. C’est pourquoi il est prévu que l’audience statuant sur une telle offre se tienne en présence du ministère public et précisé, pour cette disposition dérogatoire et temporaire, que, comme le prévoit déjà l’article L. 661-1 du code de commerce, l’appel du ministère public est suspensif. » 

Ainsi, bien que l’article 7 de l’ordonnance n’ait pas fait l’objet d’une prolongation par la loi ASAP du 7 décembre 2020, la faculté de reprise par le débiteur perdure au sein de l’article L642-3 du Code de Commerce, mais redevient soumise à l’examen préalable de la demande par le Ministère public qui transmet par suite la requête au tribunal, allongeant dès lors les délais de procédure.

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